MIRCEA CANTOR /// DEJOUER LES UTOPIES

Le week-end dernier, au Grand Palais durantla FIAC, quatre jeunes artistes étaient en compétition : Samuel Rousseau, Guillaume Leblond, Damien Cabanes et Mircea Cantor. L’ADIAF (association de collectionneurs) a décerné le Prix Marcel Duchamp 2011 à Mircea Cantor.

Mircea Cantor (né en 1977 en Roumanie) vit et travaille « sur la terre » comme il aime à le préciser. Il produit depuis 1999 une œuvre sensible, poétique et politique. Une œuvre engagée dans le réel dont il nous offre sa vision à la fois personnelle, référencée et mystique. Chacune de ses réalisations est liée à une réalité, souvent brutale, qu’il transcende grâce à une appropriation singulière des matériaux, des cultures et des techniques traditionnelles. En 2009, il s’est fait connaître du public avec l’œuvre vidéo Tracking Happiness où un groupe de sept femmes vêtues de blanc avancent d’abord en file indienne, puis forment un cercle. Elles entament une lente procession où chacune balaye à l’infini les traces de pas de la précédente. Une danse à la fois vivante et fantomatique accompagnée de la musique d’Adrian Gagiu. L’œuvre évoque l’éphémérité de notre passage dur terre, les difficultés que nous pouvons rencontrer pour atteindre la sérénité et le bonheur. Deux états humains qui semblent être un luxe aujourd’hui. La vidéo pose aussi la question de la trace, de l’héritage que nous laissons après nous. Un héritage, matériel et immatériel, qu’il est difficile de préserver et de transmettre. L’œuvre peut enfin traduire l’éternel recommencement, le renouveau et l’espoir. À chaque fois, ses œuvres posent des questions sur notre relation au monde, les barrières que nous rencontrons mais aussi les richesses qu’il nous procure. Illusions et désillusion se côtoient.

Le projet présenté pour le Prix Marcel Duchamp est une sculpture/installation intitulée Fishing Flies. Au mur est installé un filet de pêche tendu par des bambous. Pris dans le filet, des petits avions réalisés à partir de canettes recyclées évoquent une pêche infructueuse. Chaque avion est relié à un hameçon doré, devenant alors des leurres d’un nouveau genre. En face est présenté un caisson en bois vitré dans lequel est disposée une série d’hameçons-avions (Fishing Flies Collection), tels des bijoux dans leur écrin. Au sol, un écran passe une vidéo (Vertical Attempt) d’une seconde où nous voyons le jeune fils de l’artiste assis près d’un évier, muni d’une paire de ciseau, qui coupe le filet d’eau qui s’écoule d’un robinet. L’enfant, d’un geste qui nous semble innocent, tente de couper le flux de l’eau qui s’écoule inexorablement. Le projet du Prix Marcel Duchamp fait écho à l’actuelle exposition monographique de Mircea Cantor au Crédac (Ivry-sur-Seine) où est présenté Fishing Fly (2011), une reconstitution d’un avion de chasse entièrement réalisé à partir de barils de pétrole récupérés. Sous la carlingue est accroché un hameçon doré. Le symbole guerrier est ici déconstruit et transformé en un jouet désincarné, déséquilibré et impuissant. Il est un leurre, au sens propre comme au sens figuré.

 

Mircea Cantor fait de manière récurrente appel à la récupération d’objets triviaux et s’inspire de techniques devenues traditionnelles et populaires en Asie et en Afrique. En 2007, il réalise Rosace, une sculpture reprenant la forme décorative médiévale d’une rosace, évidée et suspendue dans l’espace. La rosace est formée d’une multitude de petites rosaces réalisées à partir de cannettes recyclées. La technique de fabrication de jouets à partir d’objets de consommation courante récupérés est ici réappropriée par l’artiste qui traite des effets, positifs comme négatifs, de la mondialisation. Positif car elle favorise l’interculturalité, négatif puisque simultanément elle broie les spécificités, les différences. L’artiste croise volontiers l’art et de l’artisanat, en distillant des techniques, matériaux et croyances populaires, vernaculaires. En ce sens, le chiffre 7 est un élément clé dans son œuvre. Sa symbolique, à la fois religieuse, culturelle et populaire est à l’intersection des préoccupations esthétiques et théoriques de l’artiste. Mircea Cantor métisse et recoupe les registres de lecture pour formuler de nouveaux sens, de nouvelles questions et de nouvelles approches aux objets.

 

Le travail de Mircea Cantor bouscule les dichotomies universelles bien/mal, innocence/cruauté, art/artisanat, optimisme/pessimisme, utopie/réalité etc. Loin du manichéisme ambiant, l’artiste nous porte dans un univers entre-deux qui favorise une prise de conscience, douce et directe, des réalités de notre monde. Il n’impose jamais un message ou un sens univoque, bien au contraire, chacune de ses œuvres possède de multiples références, lectures et interprétations. A l’image de l’installation Seven Future Gifts (2008), où sept paquets cadeaux en béton évidés nous renvoient au champ des possibles et à une infinité de connexions. Il dit vouloir « combler les failles du lien social » et « mieux habiter le monde ».[1] Avec mystère, intimité et authenticité, Mircea Cantor nous livre une part de ses incertitudes, ses questionnements et ses troubles quant aux violentes évolutions de nos sociétés.

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Exposition Mircea Cantor – More Cheeks Than Slaps, Le Crédac, du 16 septembre au 18 décembre 2011. Plus d’informations : http://www.credac.fr/.

Site de l’artiste : http://www.mirceacantor.ro/

Mircea Cantor est représenté par la GalerieYvonLambert : http://www.yvon-lambert.com/

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[1] « Mircea Cantor » in Airs de Paris. Paris : Centre Pompidou, 2007, p.110.

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Collaboration avec la revue Infernohttp://ilinferno.com/2011/10/26/mircea-cantor-dejouer-les-utopies/

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