REGIS PERRAY /// Un Monde [En] Chantier /// Laura #13

 ‎Erwan Venn /// Séminaristes /// Impression numérique sur dibond /// 110 X 72 cm /// 2012.

 

Depuis son plus jeune âge, Régis Perray (né en 1970 à Nantes) se rêve encyclopédiste, égyptologue, historien. De par son goût pour les actualités, le bâti et l’histoire, il est très tôt fasciné par la guerre et les destructions qu’elle engendre. Une question le taraude, pourquoi l’homme détruit-il ses œuvres bâties ? Celui qui a grandi dans un univers agricole et ouvrier, n’était pas prédestiné à la création. Elle est d’ailleurs venue jusqu’à lui de manière inattendue. Au collège, lors d’une visite scolaire de l’atelier de Philippe Cognée, il vit un véritable choc, une révélation qui va transformer son rapport au monde. Il choisit de poursuivre sur la voie de l’art et intègre l’école des Beaux-arts de Nantes en 1992. Il lui faut alors prendre ses marques non seulement par rapport aux autres, à l’histoire, à la création actuelle, mais aussi par rapport à lui-même. Il se cherche et adopte progressivement une position radicale. En deuxième année, il passe les huit heures du cours de peinture à poncer une planchette de bois. « Ma plaque diminuait petit à petit, en quatre mois elle avait quasiment réduit de moitié. L’idée n’était pas d’arriver au bout, mais d’être sur le chemin, ce qu’à l’époque je ne réalisais pas forcément. »[1]

Il entretient une relation mutuelle et partagée avec la matière. Un dialogue qui va se développer en troisième et quatrième année, puisqu’il va, dans un premier atelier collectif, poncer le sol de la partie qui lui revenait. Si les murs de l’espace étaient totalement vierges, le parquet présentait les marques du passage de plusieurs générations d’étudiants avant lui. Des traces qu’il a souhaité effacer manuellement pour lui rendre une partie de son aspect initial. Pendant huit mois, il s’est imposé un rythme de travail strict et répétitif à l’image d’une journée à l’usine. À la force des bras et avec de simples outils, il a effacé, nettoyé et ravivé le bois. Pour cela, il arrivait à neuf heures le matin, ponçait jusqu’au déjeuner, reprenait le travail jusqu’à 17h30 et retournait chez lui. Il s’est plongé dans une mécanique dont il s’est finalement extrait le jour de son diplôme, où, à la plus grande surprise du jury, la pièce était quasiment vide. Seule une petite table sur laquelle était disposée de la documentation sur sa pratique, ainsi que son bleu de travail, ses chaussures et ses outils étaient présents. Alors, il doit s’expliquer et décortiquer sa démarche : il oscille entre peinture, puisqu’il donne une couleur nouvelle à la surface, et sculpture, au sens traditionnel donné à la pratique, puisqu’il enlève de la matière. « Pendant huit mois j’avais adopté une position radicale et j’étais encore tenté par des démarches comme celle d’un artiste comme Opalka en étant complètement radical et en choisissant une seule activité. Mais je suis tellement curieux que je me suis aperçu que chaque bâtiment est différent, que les lieux et les sols l’étaient également. Je trouvais dommage de me limiter. » Au sol, agenouillé, il entame un processus répétitif, systématique et rythmé par l’effort. L’œuvre est l’action. Le résultat est la trace de l’action effectuée. À ce moment de sa formation, les bases d’une méthodologie sont posées.

Déblayer, ramasser, balayer, poncer…

 LIEU. Les non-lieux n’existent pas. Il y a les parcelles, les pièces, les territoires, les endroits mais aussi les terrains, les lieux, les étendues, les places, les espaces, et ce que je préfère, les champs verts et les déserts de sable.[2]

L’intérêt que Régis Perray porte aux sols va s’amplifier et générer différentes formes d’activités. Tout d’abord, l’expérience de l’atelier collectif va être réitérée l’année suivante dans l’espace entier d’un atelier individuel. Dans cette pièce vide, en plus du travail de ponçage quotidien, il avait accroché au mur un petit drapeau libanais, ce qui lui a valu le nom de Beyrouth Palace. L’atelier précédent lui, avait été baptisé Dubrovnik Palace. Deux noms synonymes de deux guerres qui ont non seulement ravagé des populations, mais aussi un patrimoine bâti historique auquel l’artiste attachait une importance considérable. Petit à petit, l’association entre le lieu, son sol et son histoire, produit du sens au sein de sa pratique artistique. Une fois son diplôme en poche, il est invité à réaliser une exposition personnelle à Roubaix.[3] Là, il découvre une galerie neuve, propre, parfaite. De cet espace partait un couloir qui menait à un étroit jardin attenant à des dépendances en décrépitude. L’une d’entre elles, l’ancien atelier d’un photographe du XIXème siècle (Michkine), est en friche : « Cette pièce tombait, les murs en brique contenaient des moulures en plâtre qui tombaient, des vitres cristal avec des poignets en porcelaine, il y avait des quantités de gravats et le sol était un parquet en chêne. » Les racines des arbres environnants avaient soulevé et fait exploser le parquet. Pour son exposition, Régis Perray a choisi de laisser l’espace de la galerie complètement vide et d’intervenir uniquement dans cet ancien atelier. Il a ainsi activé Déblayer, jeter, ranger, balayer, curer, laver, astiquer, où il a défriché et extrait tous les gravats pour redonner une sérénité à la pièce. Ensuite, il a précautionneusement nettoyé des lattes en bois sur une zone délimitée du parquet. À travers un geste discret, l’artiste a souhaité rendre au lieu une part de son prestige d’antan, de son histoire évanouie et de son éclat abimé par le temps. L’intervention à Roubaix marque une étape fondatrice qui va influer sur son travail à venir. Il traite les sols avec un infini respect car ils portent et recèlent la mémoire non seulement du bâtiment mais aussi de celles et ceux qui l’ont occupé.

Parce qu’il met en place de véritables chantiers, toujours pensés et étendus en fonction des proportions de son propre corps, Régis Perray véhicule un message lié au monde ouvrier, agricole, et à l’effort induit par le travail produit. Chacune de ses activités est formulée par rapport à son expérience du monde ouvrier. Il imagine des processus, plus ou moins soutenus, auxquels il se tient sur une durée prédéterminée. Au cœur de ses actions, le corps est éprouvé par la répétition des gestes. Nous avons souhaité revenir ici sur deux d’entre elles. La première intitulée Centre d’entraînement pour retourner au Pilat et à Saqqarah (2001) au Confort Moderne à Poitiers, où il s’est acheté trente tonnes de sable, qu’il a du transporter et déposer à l’extérieur du centre d’art. Une fois la petite dune de sable en place, il l’a, pendant 45 jours, transvasé dans l’espace d’exposition, muni d’une simple pelle, de deux seaux et d’une échelle d’archéologue qu’il a lui-même bricolé. Avec un rythme de déplacement de cinq à sept tonnes par jours, il s’est organisé des journées de travail au même titre qu’un ouvrier qui chaque jour répète les mêmes gestes. À l’origine de ce projet, il pensait intervenir directement sur la dune du Pilat pour empêcher l’envahissement de la forêt par le sable et le rediriger vers la mer. La dune avance et gagne sur la terre, un phénomène naturel qu’il est impossible de contrer. Attaché à l’échelle humaine qui caractérise sa démarche et conscient de cet effort vain, il a réadapté son idée initiale à Poitiers. Une fois le dôme de sable transvasé, il s’est rendu compte qu’il y avait une corrélation visuelle et matérielle avec un voyage en Egypte effectué deux ans auparavant. Chacune de ses activités finit par se recouper, se prolonger ou s’augmenter. Elles s’emboîtent et formulent un sens nouveau. Lorsqu’en 2004, il se retrouve en République Démocratique du Congo, à Kinshasa, il y découvre de nouveaux sols, de nouveaux terrains à expérimenter. D’abord, il rencontre des vendeurs ambulants de balais, il les photographie, il constate. Par souci de ne pas tomber dans le piège de l’exotisme ou du stéréotype, il cherche un sujet et arpente les quartiers de la ville. À la fin de son séjour, il réalise une action filmée intitulée La Balade du balai (2004), où sur un parcours prédéfini, il va tirer un balai sur la terre battue, le bitume, les cailloux, les trottoirs de Kinshasa. Sans s’arrêter, il entraîne le balai (alors équipé d’une caméra) sur les différentes surfaces d’une ville dont il dresse le portrait, sonore, vivant. Une ville dont il exploite uniquement les sols, via une activité d’endurance (durée, chaleur, poids de la caméra et tensions causées par la présence militaire et le contexte politique troublé) qu’il s’impose. Ainsi, il déploie des processus spécifiques pour chaque lieu et les applique avec une rigueur stupéfiante. Son corps est mis en service de ses activités parfois éprouvantes, physiquement et psychologiquement.

Frotter, transporter, arpenter, dépouiller…

 SISYPHE. Quand je serai grand, j’aiderai Sisyphe à se reposer.

Il est difficile de mener une analyse du travail de Régis Perray sans penser à l’héritage laissé par les grandes figures du Land Art. Son rapport aux lieux, aux sols et au travail nous rappelle les actions de Roberts Smithson, Dennis Oppenheim, Walter Di Maria, Richard Long ou encore Michael Heizer. Sans totalement renier leurs influences, il ne s’inscrit cependant pas dans cette mouvance artistique. Il explique : « Ayant grandi près d’une tourbière, notre terrain est un mélange de terre et de tourbe. J’ai un rapport avec ce sol mouvant et quand entre le lycée et l’école d’art j’ai tenté de faire du Land Art, à chaque fois je me reposais, je regardais ce qu’il se passait. J’ai compris que ce n’était pas mon histoire, la nature a ses propres modes de fonctionnement. Petit à petit j’ai compris qu’un dialogue s’installait entre mon corps et le bâti. J’ai un dialogue avec la nature, mais qui est de l’ordre de la contemplation. ». Depuis le milieu des années 1990, il effectue des activités caractérisées par une discrétion et une fusion avec la zone travaillée. Ainsi en 1996, dans le jardin familial il procède à un Petit Nettoyage d’Automne, où agenouillé sur le sol, il déblaye les feuilles mortes et les entasse dans un panier. Sur cette petite zone, il fait place nette autour de lui. Quelques années plus tard, il s’évertue à Retrouver la terre (2002) en fixant son attention sur un ancien parking du quartier de Malakoff/Pré-Gauchet à Nantes. Toujours par terre, avec la pointe d’un marteau piqueur, il creuse un trou puis le comble partiellement avec les gravillons dispersés autour. Sous la route, il y a la terre, la surface essentielle. De la forêt aux paysages urbains, Régis Perray est attentif aux détails des lieux qu’il traverse. Seul et invisible ou bien exposé aux regards de ceux qu’il nomme les vivants, il produit des actions singulières qui recouvrent une symbolique d’ordre poétique, autobiographique, politique, philosophique ou historique.

Sa dernière action en date est une référence directe au Land Art et plus particulièrement à l’œuvre de Michael Heizer (né en 1944, Berkeley, Etats-Unis). En mars 2012, à l’initiative de l’Observatoire du Land Art, il a mis en œuvre 340 grammes déplacés… during Levitated Mass by Michael Heizer, une action qui s’est déroulée de manière simultanée avec le déplacement du rocher de 340 tonnes de l’artiste américain, vers le LACMA, le plus grand musée de l’Ouest des Etats-Unis.[4] À ce transport pharaonique et extrêmement coûteux, l’artiste nantais a répondu par un projet nettement plus modeste consistant à transporter 340 grammes de poussière provenant de la voûte de la cathédrale de Chartres. Le tout grâce à Dumper Volvo B.M. miniature. Dans sa remorque était posé un sachet contenant la précieuse poussière soigneusement récoltée par l’artiste lors d’une intervention in situ. À propos de la cathédrale il précise qu’elle est « un lieu plus jeune que ce rocher mais plus vieux que l’histoire des Etats-Unis ». La poussière céleste vient symboliquement dialoguer avec le lourd rocher. À la démesure et la débauche des moyens, il opte à un convoi transatlantique humble, poétique et drôle. Il s’agissait aussi de donner un écho à l’œuvre de Heizer, Levitated Mass, qui s’inscrit dans la lignée de ses Earthworks creusés dans le désert, encore peu trop connue en France et en Europe. Pour correspondre avec le convoi du rocher, Régis Perray a déplacé le Dumper pendant dix jours, en effectuant un circuit aléatoire dans la ville de Nantes. Tandis que le monstre mécanique prenait la route de nuit, le jour, le Dumper miniature était posé et photographié pour en constater le discret mouvement. Il a ainsi constitué une série de dix photographies-constats. Dix lieux, dix jours, pendant lesquels le rocher et la poussière avançaient à leurs rythmes jusque leurs destinations finales respectives.

Toujours dans la veine initiée par les acteurs du Land Art, nous observons qu’au sein de sa relation au sol et au lieu, la marche joue un rôle moteur. Régis Perray en arpenteur-explorateur, fait du contact entre ses pieds et les surfaces, un rituel, une procession personnelle. Il précise : « Mon point de vue est le suivant : on peut toujours aller plus loin, voir des tonnes de choses extraordinaires, mais il faut commencer par vous êtes ici, maintenant et rayonner autour de cela. Je regarde tout, je m’attache aux détails, je veux tout enregistrer un peu comme un satellite, j’emmagasine les informations. » S’il ne s’agit en rien de performance puisqu’il refuse de se mettre en scène et d’être identifié comme tel, ses activités le confrontent physiquement aux espaces qu’il adopte. Il dit à ce propos : « Je ne voulais pas faire de performance. C’est une activité ou une action, parce que c’est comme cela que je le vis réellement. Les critiques, observateurs et historiens peuvent dire « oui il fait de la performance » au sens de l’art contemporain, d’autres disent performance au sens sportif parce que je travaille sur la durée et la répétition. Mais non, ce sont des activités. Je ne me déguise pas, je ne me mets pas nu, je ne mets pas à crier (rires). » En 2000, il entreprend une activité de patinage, d’abord sur une simple palette de bois (Centre d’entraînement au patinage artistique – 2000), puis dans les différentes salles du musée des Beaux-arts de Nantes.[5] Pendant treize jours, et ce du matin jusqu’au soir, il effectue une chorégraphie sur le parquet du musée, chaussé de patin fabriqué à partir de laine et de feutre, pour chauffer et lustrer le bois. Quelques années plus tard, il formule Centre d’entraînement pour tourner en rond (2009) au Jardin des Plantes à Nantes, où il s’emploie régulièrement à tourner en rond de manière littérale et figurée. Plus récemment, il a mis en œuvre au domaine départemental de la Garenne Lemot, un projet axé autour du personnage de Sisyphe. Il a résidé dans une villa pendant deux mois et y a effectué trois activités quotidiennes : Peindre et repeindre trente-sept fois deux murs en blanc, écrire recto-verso sur cinq-cents feuilles blanches la même phrase : « Quand je serai grand, j’aiderai Sisyphe à se reposer » et Gonfler, gonfler… voguer, dégonfler. Cette dernière action se déroulait à l’extérieur de la villa qui était installée au sommet d’une colline. L’artiste qui voulait faire du bateau, a imaginé un processus se rendre de la villa jusqu’à la rivière située plus bas. Il raconte : « J’ai acheté un bateau, une annexe solide que je puisse porter. Pour pouvoir aller me balader sur la rivière je devais d’abord gonfler le bateau, après le porter sur mon dos, marcher sur 2 km, descendre, voguer, remontrer et dégonfler. La remontée était dure, après vingt minutes de navigation à quoi s’ajoutait le poids du bateau qui pesait pratiquement 40 kilos. » Il est descendu et remonté vingt-six fois le temps de sa résidence. Ainsi, la figure sisyphéenne était activée et incarnée par ce mécanisme physique de répétition et d’effort.

Débarrasser, résister, s’indigner, combattre…

 LOIN. Courir pour aller plus vite, balayer pour aller plus loin.

Régis Perray procède par résidence, coups de cœur et invitations. Il part à la découverte de lieux divers, géographiquement et culturellement, dont il s’imprègne pour en révéler une facette, positive comme négative. Ainsi en 1999, il décide par ses propres moyens de se rendre en Egypte et plus spécifiquement sur le site de Gizeh, où il va séjourner trois semaines. Avant le départ, il pensait balayer chaque face des pyramides pour stopper le désensablement. Entre rêve, utopie et illusion, la réalité le ramène les pieds sur terre. Une fois sur le site, peuplé de touristes trop pressés et de déchets en partie dragués par le désert, il a décidé d’opérer à deux activités. La première, Dans le désert il n’y a pas que des pierres, où armé de sacs poubelles chipés dans son hôtel, il a entamé un ramassage des ordures autour des tombes. Une fois les sacs remplis, il les ramenait tous les soirs et les déposait dans un container affecté aux déchets d’un hôtel de luxe. Les déchets des touristes réintégraient le système qui les générait. La boucle était bouclée. Conscient de l’histoire du site de Gizeh qui est, s’il faut le rappeler, un cimetière grandiose pour les pharaons, l’artiste a souhaité apporter une contribution modeste à un espace où sous le sable, les pierres et les emballages plastiques, gisaient des corps ancestraux. La deuxième activité, Déblayage de la route occidentale, s’inscrivait dans la logique de son projet initial lié au désensablement du site. Alors, muni d’un simple balai, il a inlassablement balayé la route occidentale partiellement recouverte par le sable. Les deux activités ne sont pas explicitement liées à une revendication écologique, mais plutôt à un appel à la responsabilité de chacun quant aux lieux de mémoire, célèbres ou non. Sous la terre reposent les morts. Régis Perray prend soin des surfaces parce qu’elles incarnent de manière concrète la mémoire et l’histoire des disparus.

Une histoire à laquelle il va être rudement confronté lors d’une résidence à Lublin, en Pologne. Les traces de la Seconde Guerre Mondiale subsistent dans une ville où les religions (catholique, protestante et juive) cohabitent de manière séparée. Dans les rues, l’antisémitisme était rampant, visible, public. Alors, il a entrepris deux actions, d’abord Effacer tag nazi (2003) où il a frotté et effacé un tag faisant état d’une croix gammée et du mot NAZI écrit en majuscules. Un tag réalisé sur une plaque commémorative présente sur l’ancien cimetière juif de la ville, rasé. Quelques temps après, il est une nouvelle fois confronté à ce type de message et a réalisé un constat vidéo intitulé Bataille de neige contre tag nazi (2004), où cette fois, il a lancé avec vigueur des poignées de neige contre le mur incriminé. Au fur et à mesure des assauts, le tag était englouti sous la neige collante. Il a disparu, de manière éphémère puisque une fois la neigé fondue, le tag est réapparu. L’action a d’abord été réalisée pour l’artiste lui-même qui ne supportait pas l’idée que l’antisémitisme puisse être toléré, elle était aussi destinée aux habitants de Lublin, à leurs conscience par rapport à une histoire récente. Lorsqu’il a présenté ses travaux au public polonais, les gens lui ont demandé s’il avait des propositions pour endiguer l’antisémitisme. Il a simplement répondu : « Je ne suis pas théoricien, je suis étranger, je n’ai pas de leçon à donner, je n’ai pas de réponse. Et puis je me suis retourné vers l’écran et je lui ai dit que ma réponse il venait de la voir. On peut passer du temps à réfléchir, mais à un moment donné ces tags ont fini par me gêner dans mon quotidien alors je les ai enlevés. Je n’avais pas à prononcer un discours moralisateur. Ce dialogue que j’entretiens avec les lieux m’apporte des repères historiques, chaque fois, je suis confronté à l’histoire de façon concrète.  »

Sans théories ni grandes prétentions, Régis Perray expérimente le réel au quotidien. L’art et la vie se confondent dans une démarche où le dialogue avec le lieu est primordial. Il s’est construit sur un postulat simple et clair en ayant établi des règles auxquelles il s’attache. Regarder, comprendre, fouiller, marcher et activer, l’artiste se laisse entraîner par les lieux, les villes et les rencontres qui émergent de ses expéditions. Son corps se fait le récepteur des lieux dont il est à l’écoute. Une écoute physique, intellectuelle et spirituelle, qu’il traduit par ses activités et ses constats. Par le geste, il capte leurs esprits et leurs histoires. Au sol, il travaille la mémoire des pierres, des parquets, de la terre et du bitume pour leur rendre en toute discrétion une dignité, une attention et une forme de noblesse. Régis Perray se met au service d’un patrimoine rendu invisible, abandonné, indésirable ou bien trop commun pour être considéré à sa valeur. Il engage un dialogue mutuel avec le lieu et grâce à une gestuelle laborieuse mais humaine, il lui restitue simplement son existence.

Julie Crenn.


[1] Toutes les citations de Régis Perray sont extraites d’une conversation avec l’artiste, février 2012, Nantes.

[2] Les Mots Propres. Petit dictionnaire autobiographique de Astiquer à Zen – RP – Edition augmentée 2010.

[3] Déblayer, jeter, ranger, balayer, curer, laver, astiquer – K@rl Roubaix. Du 19 au 30 juin 1998. Commissariat : Lise Viseux & Ronan Le Régent.

[4] Installation de Levitated Mass au Los Angeles County Museum of Art (LACMA), mars 2012. Pour en savoir plus, voir : http://www.landart.fr/.

[5] « J’ai patiné du 23 septembre au 6 novembre 2000, tous les jours sauf le mardi (fermeture du Musée, mais aussi jour de photos) de l’heure d’ouverture 10h à la fermeture 18h, et 21 en nocturne le jeudi. Donc une activité quotidienne comme un sportif, un travailleur, un artiste… »

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Le texte est également disponible sur le site de la revue Laura : http://groupelaura.free.fr/laura13a.pdf.

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